• Serge Paillard en Patatonie (extraits)


     « Si tu jettes un galet dans l’eau, tu observes l’âme rêveuse les ondes concentriques qu’a générées ton geste. Serge Paillard, lui, jette son regard dans l’eau de la claire pomme de terre, et son choc déclenche les ondes de la vision qui se propagent fixement à partir d’un noyau central hallucinatoire. De toutes les pommes dont il a interprété les bourgeonnements, les dénivelés, les accidents de terrain, les germes, les rotondités ambiguës, certaines font plus particulièrement référence à une région imaginaire de nos terres intérieures, la Patatonie, mot involontairement valise peut-être car nous parions que son auteur aura premièrement songé à un plaisant néologisme formé à partir du familier « patate ». Peut-être aura-t-il songé à la Patagonie aussi, dont certains, pas des moindres excentriques, s’autoproclamèrent les rois jadis. Mais aura-t-il fait référence à la catatonie, syndrome de la schizophrénie, avec lequel Patagonie aide à constituer le mot-valise en question ? 

    (…)

     

    Serge Paillard en Patatonie (extraits)

     

     

    Premier souvenir de Patatonie (émergence du Visage)
     

     « Un dessin (tous ces travaux sont exécutés à l’encre à l’aide de marqueurs Rötring très fins) s’intitule « Premier souvenir de Patatonie (émergence du Visage) ». Il nous plaît de l’imaginer comme le premier de la série des dessins de Serge Paillard sur les pommes de terre interprétées, ce que vient démentir aussitôt l’indication de la date, à chaque fois scrupuleusement marquée sous le dessin. Tant le «Visage » sur le point d’y émerger, tel un mirage ambivalent que l’artiste a su fixer avec plein succès, n’imposant ainsi rien de trop catégorique à ses spectateurs, paraît comme une promesse d’aubes nouvelles… de territoires nouveaux, comme dans cet autre dessin, « Pomme de Terre en patatonie (une cartographie) », où l’on voit un delta ou un bayou, d’où rayonnent de bords que l’on devine dilatables des germinations vers l’extérieur.

     

    Serge Paillard en Patatonie (extraits)
    Pomme de terre en Patatonie (une cartographie)

      

    (…)

    « Que dire de Serge Paillard de plus factuel ? Il est né en 1958, exerce le métier de postier dans la région de Laval, où il habite depuis toujours. Il est passé par de nombreuses périodes picturales assez tranchées allant d’une figuration critique à un art métaphysico-visionnaire. L’ombre des grands anciens lavallois, tels que le Douanier Rousseau, mais aussi Robert Tatin, Jules Lefranc ou Henri Trouillard, a pu compter aussi pour lui, mais plus comme stimulation à se saisir des pinceaux et à s’affronter à ce qui vient ou ne vient pas sur la feuille blanche que comme exemples, modèles picturaux à suivre. Il a commencé à peindre dans les années 1970 « sans les armes courues du savoir-faire, des Beaux-Arts ou de la maîtrise » (Jean-Claude Leroy). Les dessins qui évoquent par leurs titres la Patatonie, et qui nous ont plus particulièrement frappés pour les besoins de cette courte présentation, sont peu nombreux, cinq ou six, sur un total au moment où nous écrivons ces lignes, de soixante-quinze, dont les titres évoquent d’autres thèmes. Cette période des pommes de terre apparaît un peu comme une île au sein de la production de Serge Paillard, à l’exemple de ces images vues dans les tubercules, entourées de halos, ou d’ondes concentriques qui ressemblent aux vagues de la mer venant mourir sur la grève… d’une île.

     

    Serge Paillard en Patatonie (extraits)

    Pomme de terre en île brumeuse

    (…)

    Mars 2005 (avec un amical à Jean-Louis Cerisier qui nous a mis sur le chemin de Serge Paillard). »

     

    Bruno Montpied

    Extraits du texte de paru dans S.U.R.R. n°5, Paris, automne 2005